16/11/2014
Génie mathématique (et probable TDA/H ?), Alexandre Grothendieck (1928 - 2014) vient de disparaître.
Avec Albert Einstein, il partageait "l’aversion pour l’apprentissage scolaire, l’indépendance de pensée et une puissance de travail stupéfiante."
"Quand j’étais gosse, j’aimais bien aller à l’école. On avait le même maître pour nous enseigner à lire et à écrire, le calcul, le chant (il jouait d’un petit violon pour nous accompagner), ou les hommes préhistoriques et la découverte du feu. Je ne me rappelle pas qu’on se soit jamais ennuyé à l’école, à ce moment."
"Au lycée, en Allemagne d’abord la première année, puis en France, j’étais bon élève, sans être pour autant "l’élève brillant". Je m’investissais sans compter dans ce qui m’intéressait le plus, et avais tendance à négliger ce qui m’intéressait moins, sans trop me soucier de l’appréciation du "prof" concerné."
" Je me rappelle encore la première "composition de maths", où le prof m’a collé une mauvaise note, pour la démonstration d’un des "trois cas d’égalité des triangles". Ma démonstration n’était pas celle du bouquin, qu’il suivait religieusement. (...) Visiblement, cet homme qui m’enseignait ne se sentait pas capable de juger par ses propres lumières (ici, la validité d’un raisonnement). Il fallait qu’il se reporte à une autorité, celle d’un livre en l’occurrence. "
" Je dévorais les livres de classe en début d’année scolaire, pensant que cette fois, on allait enfin apprendre des choses vraiment intéressantes ; et le reste de l’année j’employais mon temps du mieux que je pouvais, pendant que le programme prévu était débité inexorablement, à longueur de trimestres."
"Je passais pas mal de mon temps, même pendant les leçons (chut. . . ), à faire des problèmes de maths. (...) De toutes façons, quand une chose me "tenait", je ne comptais pas les heures ni les jours que j’y passais, quitte à oublier tout le reste ! (Et il en est ainsi encore maintenant. . . ) "
Alexandre Grothendieck fréquente le Collège Cévenol du Chambon-sur-Lignon, où le pasteur Trocmé a organisé un sauvetage à grande échelle des enfants juifs, pendant la guerre.
« Quand on était averti par la police locale qu’il y aurait des rafles de la Gestapo, on allait se cacher dans les bois pour une nuit ou deux, par petits groupes de deux ou trois, sans trop nous rendre compte qu’il y allait bel et bien de notre peau. »
Puis il s’inscrit à la fac de Montpellier où il ne brille pas et il est même contraint de repasser l’épreuve d’astronomie.
Il ne lit pas les mathématiciens qui l'ont précédé, il n’apprend pas les maths, il les fait, ou les refait. " Génie, culot et absence de culture mathématique ! "
Il rencontre à 20 ans Jean Dieudonné et Laurent Schwartz, deux brillants mathématiciens qui lui confient quatorze questions qu’ils ne parviennent pas à résoudre, pour le tester. Il les résoud en moins d'un an !
" En l’espace de quelques mois, Alexandre Grothendieck a rédigé l’équivalent de six thèses de doctorat. Pour un doctorant solide, mieux vaut compter trois ou quatre ans pour aller au bout d’une seule ".
Jusqu'en 1970, entouré d'une multitude de talents internationaux, il dirige un séminaire de géométrie algébrique.
À la fin de sa carrière, il abandonne à la faculté de Montpellier des milliers de pages de travaux. "Pour Michel Demazure, il faudra une cinquantaine d’années, peut-être plus, pour en prendre la mesure."
Méprisant tous les pouvoirs, il refuse de se rendre à Moscou pour recevoir la médaille Fields (le Nobel des maths) en 1966. "Anarchiste invétéré", il fonde le groupe pacifiste et écologiste radical "Survivre... et Vivre", dans les années 1970.
Il utilise comme tribune politique son poste au Collège de France, qu'il quitte pour devenir professeur à l'université de Montpellier en 1973. Là il "propose de tirer les notes au sort entre 10 et 20, ou met 20 à tout le monde !"
En 1988, il reçoit le prix Crafoord, doté d'une forte somme d'argent, qu'il refuse, préférant vivre retiré dans un village de l'Ariège.
Jean-Pierre Serre disait de lui : "J’ai toujours senti qu’il était comme une centrale nucléaire, si on disait quelque chose qui ne lui allait pas, il pouvait exploser, et ce serait grave, il valait
mieux éviter."
Selon Roger Godement : " Il était un sauvage."
Grothendieck disait de lui-même : " Je me sentais spirituellement absolument seul de mon espèce, et n’arrivais à me reconnaître dans aucun groupe humain, ni dans aucun autre être. "
Pourtant, selon tous les témoignages, Grothendieck était "agréable, bien élevé, jamais méchant, généreux, à l'aise avec tout le monde", mais "dépourvu de tout sentiment de crainte ou de complexe."
"Ni ex- de Normale Sup ni ancien de l’école Polytechnique, juste ancien du Rieucros, il est redevenu une poussière de l’histoire, reclus et oublié quelque part dans les contreforts des Pyrénées".
(Rieucros était le camp où sa mère et lui avaient été internés avec les Républicains espagnols pendant la guerre.
« C'était la guerre, et on était des étrangers – des “indésirables”, comme on disait. Mais l'administration du camp fermait un œil pour les gosses, tout indésirables qu'il soient. On entrait et sortait un peu comme on voulait. J'étais le plus âgé, et le seul à aller au lycée, à 4 ou 5 kilomètres de là, qu'il neige ou qu'il vente, avec des chaussures de fortune qui toujours prenaient l'eau. »)
Les citations proviennent de
1) son autobiographie : "Récoltes et semailles";
2) sa biographie par Wilfried Scharlau en cours de traduction par Leila Schneps (webusers.imj-prg.fr/~leila.schneps/grothendieckcircle/biopage);
3) l'article de Philippe Douroux, « Alexandre Grothendieck » — Images des Mathématiques, CNRS, 2012 ;
4) l'article de Stéphane Foucart et Philippe Pajot, Alexandre Grothendieck, le plus grand mathématicien du XXe siècle, est mort, Le Monde.fr | 14.11.2014).